En cliquant sur les onglets ci-dessus, vous pourrez retrouver les souvenirs de la venue de Michel Butor à Mons-en-Barœul le samedi 5 mars 2011 (Le retour dans sa maison natale, l'hommage à la Maison Folie du Fort de Mons et des moments émouvants avec notamment un vivat flamand et la découverte de l'iPad lors d'un repas à l'Hamadryade de Villeneuve d'Ascq). Le samedi 5 mars après midi Michel Butor a inauguré au musée Sandelin à St Omer une exposition qui lui était consacré (onglet St Omer). Nous avons ajouté les émotions du 18 mai 2012 à Mons (restaurant du Fort, découverte de la bibliothèque et vernissage dans la salle d'exposition du fort) et le lendemain lors d'une visite privée au musée de la piscine de Roubaix et son intervention à la médiathèque l'Odyssée à Lomme. Merci au groupe des amis de Michel Butor qui a permis à Michel Butor de retrouver sa ville natale.

Bibliotheca Butoriana Bodmerianae


Isabelle Roussel-Gillet, maître de conférences à l’université d’Artois, est spécialiste des relations entre le littéraire et les arts visuels. Elle vient de publier BBB : Bibliotheca Butoriana Bodmerianae, catalogue des livres d’artiste du fonds Michel Butor de la Fondation Bodmer. Un beau livre richement illustré par de magnifiques photos de Naomi Wenger.

Michel Butor, portrait

Sa mère, devenue sourde, lisait sur les lèvres, les siennes murmurant en connivence. Sans doute cet accueil de celui qui voulut être musicien décuple-t-il une capacité au regard profondément attentif, à la lisière. Sans doute nous faut-il commencer par ce fait, non réductible à l’anecdote, qui touche à l’intime, car que sont ses plus de 2700 livres d’artistes sinon des fécondités de l’intime, d’un entre-deux d’abord muet ? 

Avec plus de 350 artistes avec qui il collabore, Michel Butor invente une voix au sein de la peinture, gravure ou photographie d’un artiste souvent ami. Le livre en augmente sa plasticité, son dépli, ses chemins buissonniers. Certaines collaborations sont certes bâties dans l’échange épistolaire, dans une co-construction concertée et bavarde, mais plus nombreuses sont les propositions, vierges encore de ses mots, que le poète découvre en silence. 

C’est alors à lui que revient de nommer, en « titreur d’élite », selon l’expression de Pierre Alechinsky. La liste des titres de ces livres d’artistes, qu’il tient à jour scrupuleusement dans le Catalogue de l’écart, se feuillette comme un herbier, elle emplit ici les pages de garde du BBB, Bibliotheca Butoriana Bodemerianae, qu’il vous faudra lire à la loupe. Au vu de la production pléthorique, la tentation est grande d’enfermer le poète dans la figure de l’addition. Il exprime bien plus encore la multiplication, le plaisir de s’augmenter dans la cocréation et le goût des équations comme des alliances inattendues. 

Résister à "l'ondée des foules"


Préparé pour ses 90 ans, qu’il ne put fêter, le BBB, ouvrage composé avec la photographe Naomi Wenger, présente 122 livres du fonds Martin Bodmer, dont la dernière donation de cent livres choisis avec attention par Michel Butor, lui-même. Il y réunit 72 artistes pour des explorations plastiques du volumen au leporello, et plus encore dans des états du papier, froissé, coupé, et même brûlé. 

Cette sélection peut être organisée en chapitres pour marquer les thématiques traversantes : le jeu avec la citation et la référence, l’engagement critique pour dénoncer le gel de la pensée et résister à « l’ondée des foules », l’exploration des paysages, des volcaniques aux enneigés, le portrait de l’auteur en figure mythologique de Thésée à Don Juan, qui nonobstant reste en creux, pudique, au sein de la forteresse de ses écrits. 

“Michel Butor se nommait lui-même, avec humour, L'Illustre inconnu” 


On ne peut que se réjouir de l’opiniâtreté de l’Association Livres d’artiste 74 Michel Butor sous la houlette de Martine Jaquemet et d’acteurs du champ culturel réunis pour que renaisse un Manoir du livre d’artiste à Lucinges, son dernier lieu de résidence. Toujours sis au château du village, mais rebaptisé plus modestement par l’écrivain en un manoir, une petite résidence fortifiée d’autrefois. 

Rempli d’hymnes effervescents Je ne pouvais ouvrir les lèvres/
Mon cœur s’illuminait depuis les ombres Mon souffle retrouvant sa paix/
Je nommais alentours les puissances Je tentais de déchiffrer leurs visages 
(Michel Butor, Pascal Brun, Sandales pour Empédocle, 2009)                       


Exposée au musée ou reproduite ici, la beauté plastique de certaines créations capte parfois toute l’attention du lecteur quand la force du poème donne un élan, oblige au va-et-vient entre le dessin et le poème. Avec Michel Butor, nous sommes à l’école des regards pluriels, ainsi du portrait de couverture du BBB qui oblige à un regard bifocal : de loin pour voir le visage, de près pour lire les mots qui en constituent le dessin. 



À vouloir suivre le processus de création dans son principe actif/interactif du dialogue des deux expressions artistiques l’une sur l’autre, l’une dans l’autre, quelque chose « passe » et nous nous engouffrons dans un paysage intérieur ouvert par l’entre du lire et voir. Et comme l’écrit Emmanuel Levinas : « Les vrais livres ne sont-ils que livres ? Ne sont-ils pas aussi la braise qui dort sous la cendre ? » 

Figure repentie du Nouveau Roman, Michel Butor est décédé 


Au vu de cette fécondité par l’ouverture, il serait hâtif de réduire l’écart, du nom de sa dernière demeure « À l’écart », à l’idée de marge ou de distance. L’écart est certes nécessaire à la distance pour lire sur les lèvres de l’autre, pour que l’entre-deux agisse dans toute relation que l’on voudrait féconde. 

L’écart, c’est aussi ce qu’on ouvre et qui ouvre, ce qu’indique son usage perdu « d’en-taille » et « d’incision ». BBB ? Brûlure, braise, brèche ; c’est de maintes façons que Michel Butor a ouvert des brèches, que ce soit dans le monolithisme académique (Antisèche avec Ania Staritsky est à cet égard truculent) ou dans le cloisonnement des arts. Et, peu à peu, se dessine le portrait provisoire ou plutôt les visages de Michel Butor outrepassant toute frontière assignée à la littérature. 

Isabelle Rousel-Gillet

À lire:
- Isabelle Roussel-Gillet et Naomi Wenger, BBB Bibliotheca Butoriana Bodmerianae,

aux éditions Notari et Fondation Martin Bodmer sur les imprimeries Musumeci (Aoste), 2016. - Isabelle Roussel-Gillet, Les livres partagés de Mylène Besson, Michel Butor et Colette Deblé, Echos et intimité, Université Dijon, janvier 2017.