Article paru dans La Voix du Nord sous la plume de Christian Canivez le 26 août 2016
Grand Monsieur de la littérature française, Michel Butor est
décédé mercredi à 89 ans en Savoie, où il s’était retiré. Nous avions eu la
chance de le rencontrer il y a quelques années à Mons-en-Barœul, où il était
né, et revenait de temps à autre. Il nous avait raconté l’un des moments les
plus marquants de sa vie.
Il s’est assis tranquillement et a commandé une bière.
Fasciné par la cuve de brasseur aménagée où nous avions pris place, comme un
vaisseau spatial posé dans cette grande brasserie lilloise. Ça lui plaisait
bien les vaisseaux, à Michel Butor. Une invitation au voyage. Un appel aux
souvenirs.
Vers l’Égypte
« J’ai envie de vous raconter une histoire », démarra-t-il,
l’œil rieur, trempant ses lèvres dans la mousse d’une ambrée. On n’en attendait
pas moins de lui. « C’était en 1950. J’étais jeune professeur, parfait inconnu,
avec une sacrée envie de me promener. J’avais accepté pour un an un poste
d’enseignant en Égypte. C’était la première fois que je quittais la France pour
aussi longtemps. »
C’est ainsi que Michel Butor embarque à Marseille sur le
André Lebon, paquebot assurant la liaison entre la France et « les Échelles du
Levant », comme le rappelle notre homme avec poésie.
Le voyage s’effectue dans la promiscuité de la 4e classe. «
Égyptiens ou Européens sans le sou, on voyageait dans la soute, dormant sur des
lits superposés qui avaient été installés là durant la guerre, quand le bateau
faisait transport de troupes. » Les repas sont pris en commun, et l’on
s’autorise de temps à autre une sortie sur les ponts supérieurs, là où voyagent
hommes d’affaires, archéologues et touristes fortunés. Au bout de quatre jours
de mer, le jeune professeur débarque sur la terre des pharaons et grimpe dans
un train direction Miniah, à 250 km au sud du Caire. Un poste d’enseignant l’y
attend.
Dans les ruines de Karnak
« Après plusieurs mois passés à Miniah, je devais me rendre
dans la préfecture de Louxor pour y faire passer des examens, une occasion pour
moi de visiter les sites antiques.» C’est là, dans les ruines fantastiques de
Karnak, qu’a lieu une étrange rencontre. « Le soir tombait, le paysage était
extraordinaire. Et soudain j’entends “Monsieur Butor, Monsieur Butor”. Je me
retourne et découvre un grand fellah en djellaba. Il s’approche. Je le
reconnais. Il était dans la soute du paquebot, avec moi. Il était le domestique
de l’archéologue français qui dirigeait les fouilles de Louxor. » L’homme lui
propose de venir chez lui. « J’ai un trésor à vous montrer ». Le professeur le
suit.
L’imagination du romancier sans doute a-t-elle travaillé à
plein régime. Allait-il découvrir une antiquité fraîchement mise au jour ? Une
pièce digne du musée du Caire ou du Louvre ? L’objet présenté dérouta le
voyageur pour mieux le séduire. « J’avais devant moi un stéréoscope. Une boîte
en bois avec deux oculaires et une molette qui faisait défiler des cartes
postales. Et pas n’importe lesquelles : c’était des vues de Paris. Et je me
retrouve ainsi à voir la place de la Concorde avec son obélisque, le frère
jumeau de celui qui se trouvait à deux pas de nous. »
Le fellah avait ramené ce souvenir de Paris, où il avait
accompagnés son maître archéologue.« Cela avait un côté surréaliste. J’étais
comme dans un rêve. Charmé par ce personnage et son souvenir incroyable, un
objet qu’il tenait véritablement pour un trésor. » Michel Butor quitte l’Égypte
au bout d’un an, marqué à jamais.« Je n’y ai fait aucune photo. Je le regrette
aujourd’hui. » À défaut de clichés, l’homme revient avec un recueil de poèmes,
Dans la palmeraie égyptienne. Des années plus tard, Michel Butor retourne à
plusieurs reprises le long du Nil. Il ne revit jamais le grand fellah de Louxor
au mystérieux trésor.
Article paru dans l'Est Républicain le vendredi 26 août 2016 sous la plume de Sophie Dougnac.
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Article paru dans l'Est Républicain le vendredi 26 août 2016 sous la plume de Sophie Dougnac.
Michel Butor ne connaissait pas Montbéliard. Sa première
visite dans la Cité des Princes, en mars dernier, à 89 ans, l’avait cependant
enchanté. Au point que le maire de la ville, Marie-Noëlle Biguinet, qui lui
avait organisé une petite réception, lui avait conseillé de revenir.
L’écrivain, poète, romancier, figure de proue du Nouveau Roman et prix Renaudot
en 1957, avait pris date pour les Lumières de Noël 2016.
Malheureusement, les flamboiements des festivités
éclaireront la cité sans lui : Michel Butor est mort ce mercredi, à l’hôpital
de Contamine-sur-Arve, en Haute-Savoie, où il résidait.
Sommité de la littérature, l’auteur de « La modification »,
« L’emploi du temps » ou encore « Degrés », avait été invité, en mars dernier
donc, par Keiko Jimbo, professeur de japonais à l’UTBM de Belfort-Montbéliard. Et
ce afin de parler « ouverture d’esprit » avec les étudiants.
Le quasi nonagénaire n’en manquait pas : ravi, selon des
propres termes, de rencontrer des jeunes d’un institut de technologie, il en
avait aussi profité pour se renseigner sur la région. « J’ai appris qu’il y
avait un site préhistorique à proximité avec des galets fort mystérieux (NDLR :
ceux de Rochedane à Villars-sous-Dampjoux) », confiait-il à l’époque. « C’était
donc irrésistible pour moi ».
L’écrivain avait donc eu droit à une visite commentée et
personnalisée (des exemplaires étant extraits des vitrines) du musée du
Château. Sa soif de connaissances, alliée à une grande gentillesse, avait
conquis ses interlocuteurs. Tout comme sa simplicité, assez éloignée de la
complexité de ses livres et essais. Une œuvre aussi riche et diverse
qu’érudite. Qui, comme les galets millénaires, va entrer dans l’histoire.