En cliquant sur les onglets ci-dessus, vous pourrez retrouver les souvenirs de la venue de Michel Butor à Mons-en-Barœul le samedi 5 mars 2011 (Le retour dans sa maison natale, l'hommage à la Maison Folie du Fort de Mons et des moments émouvants avec notamment un vivat flamand et la découverte de l'iPad lors d'un repas à l'Hamadryade de Villeneuve d'Ascq). Le samedi 5 mars après midi Michel Butor a inauguré au musée Sandelin à St Omer une exposition qui lui était consacré (onglet St Omer). Nous avons ajouté les émotions du 18 mai 2012 à Mons (restaurant du Fort, découverte de la bibliothèque et vernissage dans la salle d'exposition du fort) et le lendemain lors d'une visite privée au musée de la piscine de Roubaix et son intervention à la médiathèque l'Odyssée à Lomme. Merci au groupe des amis de Michel Butor qui a permis à Michel Butor de retrouver sa ville natale.

Le riche héritage


Le riche héritage de Michel Butor

Michel Butor a laissé derrière lui une œuvre copieuse où s'entremêlent romans, poésies, écrits sur l’art et textes expérimentaux. Retour sur le parcours d'un écrivain qui échappe à toute classification.

Butor a radicalement changé la conception du roman.

De Lola Latham, le 31 août 2016 à Genève

Le père du nouveau roman a quitté ce monde mercre­di 24 août à l’âge de 89 ans. Auteur de romans, d’essais, de critiques d’art et de musique et de poésie, Butor a dans son parcours 1 500 différents titres. Cet écrivain était aussi un explora­teur tantôt par le fait qu’il expéri­mentait tout le temps de nouvelles choses dans le domaine de la créa­tion artistique, tantôt par le fait qu’il visitait de nombreux pays comme l’Egypte, la Grèce, l’Angle­terre, les Etats-Unis et enfin la Suisse.


Il était président du jury de la thèse de doctorat de l’écrivaine égyptienne Fawzia Al-Ashmawy, professeure de littérature à l’Uni­versité de Genève, aujourd’hui à la retraite.

Elle regrette infiniment sa dispa­rition. « C’était mon collègue à l’Université de Genève. Il ensei­gnait la littérature française et moi la littérature arabe. Le hasard avait fait que nous ayons nos séminaires le même jour, ce qui nous donnait la possibilité de nous voir et d’échanger nos points de vue tous les mercredis. J’avais la possibilité de discuter avec lui autour de l’ac­tualité et des affaires culturelles. Chaque fois qu’il me rencontrait, il me disait : Bonjour l’héritière de Hatchepsout et de Cléopâtre ».

« En Egypte, il a beaucoup appris »

En Egypte, l’année scolaire 1950-1951. C’était la dernière année de règne du roi Farouk, avant la Révolution de 1952. Il y avait un ministère de l’Education très franco­phile, avec le fameux Taha Hussein comme ministre de l’Education, qui avait essayé de mettre le français à égalité avec l’anglais dans l’ensei­gnement secondaire égyptien. A cette époque-là, l’Egypte était sous le protectorat britannique et la majo­rité des intellectuels essayait de se dégager de cette domination avec l’apprentissage de la langue fran­çaise qui devait être un moyen de libération. « Alors, l’Egypte a fait venir un certain nombre de jeunes professeurs français. Butor était en fait venu en Egypte parce qu’il avait préféré le service civil au service militaire », poursuit Fawzia Al-Ashmawy.

Il détenait une licence de philoso­phie, et il s’est retrouvé dans une petite école secondaire de Minya, à 240 kilomètres au sud du Caire, devant des classes de 60 élèves. « Ils étaient beaucoup plus cos­tauds que moi et ne savaient pas un mot de français. Du coup, j’ai com­muniqué avec eux par le tableau noir. Je faisais des dessins que j’agrémentais de légendes parlées. Une bonne partie avait complète­ment renoncé à comprendre, ils étaient très agités. C’était très dur. Mais j’ai appris à explorer des modes d’expression qui sont deve­nus par la suite des plaisirs artis­tiques », dit-il dans un entretien avec Livres, en 2013. Fawzia Al-Ashmawy reprend : « Butor avait beaucoup lu sur l’égyptologie et a visité tous les vestiges du Caire et de Louqsor. Il était en complète admiration des Pyramides ».

Mais pour lui, son dernier voyage en Egypte était dramatique. En 2006, Butor a été invité au Caire par l’ancien ministre de la Culture, Farouk Hosny. « Il avait les larmes aux yeux en me racontant sa visite aux pyramides, et la quantité de zones sauvages qui entouraient ce ruban pharaonique unique au monde. Choqué, il me demandait comment un endroit comme celui-là est laissé en proie à des habitations sauvages ? », poursuit-elle.

En 1982, Al-Ashmawy terminait sa thèse de doctorat et il fallait choi­sir un jury. « Avec l’accord de mon directeur de thèse, j’avais choisi Michel Butor pour en être président. Il était romancier, et moi, mon doc­torat était sur les romans de Naguib Mahfouz. Butor avait en effet lu quelques passages de La Trilogie de Mahfouz ».

Mais était-il suffisant de lire La Trilogie pour être un bon président de jury ? Fawzia reprend : « En 1982, Naguib Mahfouz n’était pas encore connu en Europe. Il ne l’a été qu’avec le Nobel en 1989. Il n’y avait de traduit de ses œuvres que Le Voleur et les chiens, puis il y a eu La Ruelle des miracles, chez Sindbad. Donc, ni Michel Butor ni quelqu’un d’autre ne pouvait connaître Mahfouz. La première thèse, le premier livre en langue française qui a été publié sur Mahfouz était le mien, La Femme et l’Egypte moderne dans l’œuvre romancière de Naguib Mahfouz. Ma thèse était composée de 800 pages, et de la traduction en fran­çais de son roman Miramar, en 400 pages. Il a lu mes 1 200 pages avec beaucoup d’intérêt. Il a émis bien sûr quelques remarques dans Miramar, et m’a dit que Zohra, l’héroïne du roman, le faisait pen­ser à l’Egypte qui s’est vu fuir de son destin plongé dans l’ignorance vers une cité libérale ».

Obtenant son doctorat avec la mention Très Honorable, Al-Ashmawy se rappelle encore ce que lui avait dit Butor à l’époque : « Ne croyez pas que vous avez ter­miné vos études en obtenant le plus haut grade universitaire. Vous venez de faire votre premier pas sur le chemin de la recherche acadé­mique. Je vous encourage à devenir écrivaine », lui a-t-il dit.

Un grand humaniste

Pour Al-Ashmawy, Butor n’était pas uniquement professeur d’univer­sité. C’était un grand humaniste.

« C’était quelqu’un de très simple, humble. Il portait tout le temps une chemise de travail et une salopette foncée. On pouvait distinguer sa silhouette de loin. Sa barbe était longue à la Victor Hugo. Il était très cultivé, il aimait la musique, la pein­ture, et souvent, il les mélangeait avec la littérature dans des créa­tions artistiques uniques ».

Fils d’un cheminot, il avait la pos­sibilité de prendre le train gratuite­ment autant qu’il le voulait. C’est d’ailleurs dans un train qu’il a écrit son chef-d’œuvre La Modification qui lui a valu le prix Renaudot. Et quand il fut nommé professeur de littérature à l’Université de Genève, il a habité en France voisine et jusqu’après sa retraite. Il résidait dans un endroit très calme en Haute-Savoie, dans une propriété qu’il avait nommée A l’écart … mettant ainsi en pratique son désir de vivre à l’écart du monde. « Je l’ai inter­viewé pour le compte de l’hebdoma­daire littéraire Akhbar Al-Adab en 1996, à la demande du grand écri­vain Gamal Al-Ghitani. Butor m’avait reçue très amicalement et s’est laissé photographier simplement. J’ai eu le récit de sa vie, sur­tout celui de ses débuts, quand per­sonne ne voulait prendre son pre­mier manuscrit », dit Al-Ashmawy.


Elle pense que Butor mérite bien son surnom de Père du nouveau roman parce qu’elle voit qu’il a changé radicalement la conception du roman. Avant lui, le roman était une histoire soit d’un couple, d’une famille, d’une ville ou d’un village, avec un début et une fin. « Les romans de Butor, d’Alain Robbe-Grillet et de Nathalie Sarraute décrivent des situations, des séquences de vies. Dans leurs romans, il y a plus d’une histoire, il y a des observations. Il y a évidemment un seul thème. Mais un thème n’est pas une histoire. En général, il n’y a ni début ni fin. Il n’y a pas non plus de héros ou d’héroïne uniques dans le roman. Juste des personnages qui s’entremêlent ou qui ne se connaissent pas. Le lieu est en principe le héros. Alaa Al-Aswany a imité cette tendance dans son œuvre L’Immeuble Yacoubian. Plusieurs jeunes talents littéraires préfèrent ce penchant lit­téraire aujourd’hui », affirme encore Al-Ashmawy. Et de conclure : « Je regrette beaucoup qu’il n’ait pas été élu à l’Académie française et qu’on ne lui ait pas donné la valeur que méritait quelqu’un de son calibre. Il était humble et ne cherchait pas à se faire connaître. Il acceptait difficilement de participer à la vie culturelle, et souvent, rejetait les fastes de la célé­brité. Adieu cher collègue ».