L'innovateur perpétuel
Publié par Claire Devarrieux dans Libération le 24 août 2016
Auteur de « la Modification », Michel Butor était le dernier
représentant du Nouveau roman. Il s'est éteint à l'âge de 89 ans.
Portrait de l'écrivain Michel Butor chez lui à Lucinges en Haute-Savoie en juillet 2008. Photo Olivier Roller. Divergence
Il était le dernier représentant du Nouveau roman, mouvement
littéraire réuni dans les années 50 et 60 autour de Jérôme Lindon aux éditions
de Minuit. Michel Butor, dont on apprend la disparition ce mercredi soir, alors
qu’il s’apprêtait à fêter ses 90 ans le 14 septembre, s’était cependant éloigné
très vite de ce groupe qui n’en était pas vraiment un, et qui avait reçu son
étiquette - artificielle et commode, comme elles le sont toutes - d’un
chroniqueur du Monde.
Il n’avait pas associé toute son œuvre à l’éditeur qui fit
sa réputation. Des écrivains comme Alain Robbe-Grillet, Claude Simon,
cheminèrent sous la même étoile, jusqu’à la fin. Pas Michel Butor. Mais c’est
lui qui apporta à la maison son premier grand prix : le Renaudot en 1957 pour la
Modification. C’est aussi le roman de lui dont on se souvient le plus. Pour
certains, c’est même le seul.
Injustice d’une carrière extraordinairement féconde et
jamais interrompue : Michel Butor a signé plus de deux cents livres, recueils,
plaquettes, catalogues pour des plasticiens (dont il conservait chaque édition
en quatre exemplaires, pour chacune de ses filles, comme peut le permettre une
vaste maison en Haute-Savoie). Son inventivité le menait dans toute sorte de
domaines, la poésie, le scénario, l’essai. Mais on voulait toujours le ramener
aux romans des débuts, lui qui n’en écrivait plus.
Il faut dire que la Modification est un chef-d’œuvre
inusable, qui n’en finit pas d’influencer les écrivains d’aujourd’hui - même
s’ils ne le savent pas, ou plus. Entièrement écrit à la deuxième personne du
pluriel, c’est un monologue intérieur magistral, la confrontation d’un homme
avec lui-même, avec ses trahisons, avec ses désirs, pendant un trajet de nuit
en train, de Paris à Rome. Il devrait retrouver sa maîtresse, il s’en reviendra
auprès de sa femme et de ses enfants. « Vous avez mis le pied gauche sur la
rainure de cuivre, et de votre épaule droite vous essayez en vain de pousser un
peu plus le panneau coulissant. » Ce sont les premières lignes, fidèles à cette
« école du regard » (autre nom pour le Nouveau roman), qui a fait de la
description son cheval de Troie. Elle remplace l’intrigue dynamitée.