En cliquant sur les onglets ci-dessus, vous pourrez retrouver les souvenirs de la venue de Michel Butor à Mons-en-Barœul le samedi 5 mars 2011 (Le retour dans sa maison natale, l'hommage à la Maison Folie du Fort de Mons et des moments émouvants avec notamment un vivat flamand et la découverte de l'iPad lors d'un repas à l'Hamadryade de Villeneuve d'Ascq). Le samedi 5 mars après midi Michel Butor a inauguré au musée Sandelin à St Omer une exposition qui lui était consacré (onglet St Omer). Nous avons ajouté les émotions du 18 mai 2012 à Mons (restaurant du Fort, découverte de la bibliothèque et vernissage dans la salle d'exposition du fort) et le lendemain lors d'une visite privée au musée de la piscine de Roubaix et son intervention à la médiathèque l'Odyssée à Lomme. Merci au groupe des amis de Michel Butor qui a permis à Michel Butor de retrouver sa ville natale.
Michel Butor, les livres objets, la peinture et les peintres

Publié le 29 mai 2012 par Alain Cadet (CLP)

Michel Butor
En mai 2012, à l’occasion d’une exposition des photographies de son ami, Maxime Godard, Michel Butor est revenu dans sa commune natale, à Mons-en-Barœul, dans la banlieue de Lille. Sur certaines photos de Maxime, Michel a ajouté un petit poème. Ce n’est pas la première fois. Le photographe et l’écrivain ont publié, ensemble, plusieurs « Livres–objets ».


Maxime Godard photographiant Michel Butor lors d'une dédicace à Patrick Lepetit, à Lomme. Photo Alain Cadet ©

Le texte, imaginée par Michel Butor est écrit à la main puis recopié sur une petite dizaine d’exemplaires. Ces livres-objets, fruit d’une collaboration avec plusieurs dizaines d’artistes, sont représentatifs du travail contemporain de l’écrivain. En 2011, Michel Butor en a réalisé l’inventaire et en a compté 2014 en langue française.

Voici comment l’écrivain explique ce travail particulier :
« Qu’est-ce que j’écris aujourd’hui ? Essentiellement des poèmes et des petits livres en collaboration avec des artistes ! Vous savez, je suis un écrivain très âgé. J’ai beaucoup écrit et beaucoup publié au cours de ma vie. D’ailleurs on peut même trouver en librairie une édition de «mes œuvres complètes ». Le terme n’est pas complètement exact… tant que je vis, j’écris encore des choses.  Malgré tout, pour ce qui est de mon œuvre, je considère que désormais, « c’est fait ! ». Je serais désormais incapable d’écrire un roman ou un essai. Pour cela, il faut pouvoir ramasser énormément d’énergie… même les préfaces, je n’en écris plus guère.

Ce que j’écris maintenant c’est une sorte de coda de mon œuvre : des textes en liberté ! Ce sont souvent mes amis les peintres qui me sollicitent et me forcent à écrire. Ils conçoivent des livres à partir de leurs images et me demandent d’y ajouter un texte. En général ça marche ! D’autres, parfois, ne sont pas très contents. Pour ce qui est du livre sur Dirk Bouts, dont on parle aujourd’hui, il ne sait pas ce que j’ai écrit sur lui et ne se plaint pas! Ce travail me plaît. Il me permet de rester jeune. Voilà comment ça se passe, en général. L’artiste m’envoie sept exemplaires de son livre contenant ses images. Pas plus ! Comme je recopie chaque exemplaire à la main, écrire en plus grand nombre serait trop fastidieux ! Chez moi, il y a plusieurs piles de projets en attente. Il se produit, dans mon bureau, comme un embouteillage. Il ne faut pas être trop pressé. Il faut que cela mature dans ma tête. Un jour, l’idée me vient et je me dis, tiens, je vais pouvoir écrire tel ou tel livre. Je n’ai pas d’idée précise sur le texte avant d’avoir vu le livre. Je ne me presse pas. J’écris mon texte à feu doux. Son écriture doit être aussi une forme de découverte pour moi.
Il reste des endroits qui sont libres sur la page. Ils peuvent être très limités – juste  sous l’image –  ou, au contraire, avec des pages entières complètement vierges. Le format compte beaucoup aussi ! Quand c’est un format à l’italienne, je fais souvent des phrases très longues et très compliquées. Si le format est étroit, le mieux c’est d’écrire des vers. J’écris généralement des octosyllabes : c’est quelque chose de très facile et qui semble avoir été créé pour moi ! Je peux évoquer les images de la page ou au contraire m’en écarter. Parfois je mets de la couleur. J’utilise des encres de couleurs différentes particulièrement lorsque les images en noir et blanc. La couleur du texte retentit sur l’image noir et blanc de l’artiste. Elle est aussi choisie en fonction de ce que j’écris.

Ces petits livres sont très différents des essais que j’écrivais, jadis, sur la peinture. Quand on écrit, sur un peintre ou sur un tableau, il y a l’œuvre et la culture du peintre. Il appartient à son époque et s’explique par son environnement. Il y a aussi  tout ce qu’on a pu dire, au cours des siècles, sur sa peinture. Enfin, il y a un point de vue contemporain qu’on peut et doit avoir à propos d’un tableau d’un siècle passé. C’est le cas lorsque j’ai écrit  sur Delacroix. L’œuvre est monumentale. Il existe beaucoup de textes de textes différents, écrits au cours des siècles. Ils ont alimenté ma réflexion et nourri mon propre texte.
Lorsque j’entame un Livre-objet, je commence par faire un brouillon sur une feuille de papier. Puis et puis je le recopie directement dans le premier livre. Il faut noter qu’aucun des sept livres n’est jamais totalement identique à un autre. Comme j’écris à la main, chaque exemplaire est le brouillon du précédent. Je peux changer la disposition et même le texte. Il me vient des idées nouvelles. Je perfectionne le texte d’origine au cours de mes recopie successives. Du coup chaque livre est un objet unique. Souvent, le peintre procède de la même façon : il y a des différences d’un livre à l’autre, dans ses images dessinées à la main.

Je ne vends pas ces livres, mais l’artiste le fait le plus souvent…  parfois à un prix raisonnable, parfois très cher ! Il peut arriver que certains livres soient reproduits en fac-similé par un éditeur. C’est intéressant parce que, dans ce cas, on peut en diffuser un assez grand nombre.


Michel Butor et Picasso au musée de la piscine de Roubaix. Photo Alain Cadet ©

J’ai toujours aimé la peinture et les peintres. Ce n’est pas du tout un hasard si j’écris avec eux. J’aime leur façon de vivre. Ils ont choisi un mode de vie particulier. Ils vivent dans des ateliers (enfin pour ceux qui ont réussi… J’en ai aussi connu beaucoup qui tentaient de peindre dans une chambre de bonne.) L’atelier, c’est un lieu de vie éclairé et  spacieux, c’est un lieu de liberté. C’est un endroit où le désordre fait partie de la création. Le peintre crée une œuvre destinée à être entourée d’un beau cadre et à être exposée sur le mur lisse d’un musée. Mais dans sa matrice, posée dans un coin d’atelier, elle exprime quelque chose de différent. Voir peindre est un spectacle. On voit l’œuvre naître et grandir. Le travail du peintre en action est un bonheur. »
Retour vers la maison natale

Le 139 rue du Général de Gaulle où naquit Michel Butor



« Je serais incapable de rédiger moi-même mon autobiographie. Je crois que je commencerais par «  je suis né le 14 septembre 1926 à Mons en Barœul ».
Je m’arrêterais assez vite car ce n’est pas ma façon d’être avec moi-même ». C’est ainsi que Michel Butor dans « Curriculum Vitae » commence sa propre histoire. Il la débute toujours ainsi… à quelques mots près. Quel sentiment nourrit-il pour ce lieu dont il évoque « la lumière » dans son poème « Biographie pressée » ? «Je ne l’ai jamais vu évoquer sans émotion et… érudition sa ville de naissance », écrit Raphaël Monticelli, l’un des meilleurs amis de l’écrivain. «   Je l’ai même entendu un jour tenir toute une partie de conférence, dans une université, sur le nom de Mons en Barœul, insistant sur la rareté de la forme « œu », dissertant sur le nom à travers l’histoire, nous remontant au moyen âge… Une légende…»
Au risque de paraître irrévérencieux, nous commencerons notre récit un tout petit peu avant : le 2 décembre 1924 jour de la naissance Geneviève, la sœur aînée de Michel. Le certificat de baptême précise qu’elle est née, 139 rue de Roubaix. Deux ans plus tard, lorsque Michel, Marie, François paraît, la rue a changé de nom. Elle se nomme à présent Daubresse Mauviez. Le 139 est le domicile du père de l’écrivain : Xavier Marie Joseph Butor, inspecteur de la Compagnie de chemin de fer du Nord, ainsi que l’indique  le certificat de naissance conservé à la mairie.
Le 139 – désormais rue du Général De Gaulle – a connu bien des vicissitudes. Siège de la Kommandantur pendant la guerre, il devient ensuite le commissariat de la ville avant de retrouver son usage privé. Jusqu’à une date récente, on pouvait encore y observer des cloisons matérialisant les bureaux des policiers. A 540 km à vol d’oiseau, dans son petit village de Lucinges, près de la frontière suisse, l’écrivain a-t-il encore une pensée pour cette maison qui l’a vu naître où l’a-t-il abandonnée définitivement à son triste sort ? Un élément de réponse nous est fourni le 25 avril 2000 par le quotidien La Voix du Nord à qui Michel Butor déclare : « Avant la guerre, je suis retourné voir cette petite maison, à l’organisation typiquement nordiste. Le petit Parisien que j’étais avait été frappé par l’enfilade des pièces et une salle à manger sans aucune fenêtre. J’ai deux vieilles sœurs. Je vais leur demander l’adresse. J’aimerais revoir cette maison où je suis né. Je veux boucler la boucle. »

Le 5 mars 2011, Michel Butor, bouclera enfin cette longue boucle de 84 ans avant de continuer à « courir le monde… même si c’est plus lentement » comme il l’écrit lui-même.  AC

Autobiographie pressée (extraits)


Le dallage du corridor de la maison natale de Michel Butor à Mons-en-Barœul. Photo Alain Cadet ©


Lumière de Mons-en-Barœul
le dallage d’un corridor
j’aimais jouer au cuisinier
notre installation à Paris
dans la rue du Cherche-midi
……
Je désire courir le monde
encore pendant quelque temps
même si c’est plus lentement
si je me sens de l’autre siècle
je suis curieux de celui-ci

Michel Butor