En cliquant sur les onglets ci-dessus, vous pourrez retrouver les souvenirs de la venue de Michel Butor à Mons-en-Barœul le samedi 5 mars 2011 (Le retour dans sa maison natale, l'hommage à la Maison Folie du Fort de Mons et des moments émouvants avec notamment un vivat flamand et la découverte de l'iPad lors d'un repas à l'Hamadryade de Villeneuve d'Ascq). Le samedi 5 mars après midi Michel Butor a inauguré au musée Sandelin à St Omer une exposition qui lui était consacré (onglet St Omer). Nous avons ajouté les émotions du 18 mai 2012 à Mons (restaurant du Fort, découverte de la bibliothèque et vernissage dans la salle d'exposition du fort) et le lendemain lors d'une visite privée au musée de la piscine de Roubaix et son intervention à la médiathèque l'Odyssée à Lomme. Merci au groupe des amis de Michel Butor qui a permis à Michel Butor de retrouver sa ville natale.

Un écrivain populaire élitaire ?

Un écrivain populaire élitaire ?

Statufié, de son vivant, au rond-point de Plainpalais, tout près de l’Université de Genève où il a enseigné 17 ans, salué pour ses 80 ans en 2006 à la BNF François Mitterrand avec la grande expo. M. Butor, L’écriture nomade, récompensé, cette même année, par le Prix Mallarmé, commémoré, en sa présence, en mars 2011 par une plaque à Mons-en-Barœul à l’entrée de sa maison natale*, honoré à Lucinges, son village d’adoption, dont la médiathèque porte son nom, on n’en finirait pas d’énumérer les conférences, les hommages, les ouvrages qui lui sont consacrés, les expositions et catalogues de ses livres d’artiste, en France et à l’étranger, etc. Michel Butor, bien plus qu’un écrivain reconnu, est un phénomène.

Par Michel Ménaché


Singulier et multiple, publié par une foule d’éditeurs, il est tour à tour « illustré » et « illustrateur », auteur de plus de 2 000 livres d’artistes en plus des 14 000 pages que comportent les douze volumes de ses provisoires Œuvres complètes...

Esprit encyclopédique, polygraphe planétaire, il fut le « butordinateur », authentifié par son ami Jean-Charles Gateau, créateur de formes multiples et arborescentes, il reconstruisit en « mécano de la poésie » comme s’est amusé à le définir André Clavel (Curriculum Vitae). « La machine butorienne », selon l’expression de Georges Raillard, était en mouvement perpétuel. Ses amis s’étonnaient de sa mémoire et de son inventivité exceptionnelles : « Quel crâne, mes aïeux ! » lui écrivait Georges Perros après avoir lu Mobile (1962). Ou encore : « Mallarmé t’aurait embrassé... » L’ouvrage en patchwork constituait la première grande rupture de Michel Butor avec les genres littéraires. Pourtant cette rupture n’eut rien d’un bond vers la popularité, sinon dans le petit monde littéraire, par la polémique extrême que suscita l’ouvrage. Si l’on peut parler de popularité de Michel Butor, c’est plutôt du grand vulgarisateur universel et de l’esprit encyclopédique qu’il faudrait surtout parler, et de son impressionnante bibliographie considérée comme un record absolu...

Cet érudit hors norme aimait à se présenter lui-même comme un « professeur d’ignorance », prétendant « lire le texte de ses leçons dans les yeux de ceux qui l’écoutaient... » En fait, n’était-il pas surtout, en poète critique, professeur d’admiration des écrivains, compositeurs et artistes qui l’ont toute sa vie capté et transporté ? Il s’en est emparé avec une générosité prédatrice pour mieux les repartager. Polygraphe nomade, il a parcouru et décrypté le monde qu’il a représenté en polyphonies spatiales... Il résidait « à l’Écart » mais partout il glanait, partout il redistribuait. Mireille Calle-Gruber a défini le Génie du lieu comme « un art de chiffonnier-poète... » Ses valises étaient toujours pleines de surprises. Son vaste bureau débordait de toutes parts.

La formule de Joyce « Work in progress » s’applique à l’œuvre monumentale de Butor, labyrinthe en expansion continuelle. Il était Dédale (l’inventeur de son propre labyrinthe), il était le Minotaure (le monstre captif tapi en lui), il était Thésée (celui qui affronte son monstre intime) - jusqu’à près de 90 ans, il creusait encore... - Labyrinthe, non d’enfermement, mais à ouvertures multiples sur le monde entier, son histoire, sa géographie, ses civilisations, ses peuples... S’inspirant des réseaux ferroviaires (fils de l’ingénieur des chemins de fer du Nord), des réseaux aériens, des architectures balzaciennes, des accumulations et menus rabelaisiens, doté d’une boulimie hugolienne, partout son œuvre est matière à déconstruction, à réorganisation vertigineuse. Avec un goût prononcé pour les séries, les associations insolites, il était aussi bien l’héritier des surréalistes que celui des explorateurs de Jules Verne, des astronomes ou des alchimistes du Moyen-âge. Rien ne semblait arrêter sa mégalomanie tranquille, non de posséder ou de dominer, mais de tout englober:«Il y a en moi, un Egyptien, un Turc, un Allemand... » répondait-il à André Clavel dans Curriculum Vitae et, à moi-même, dans le n° 943-44 de la revue Europe : « Je suis tous les autres » (2007). Avec humour, il s’amusait à prétendre dans Portrait de l’artiste en jeune singe, que du côté maternel, sa généalogie remonterait à Ergatus Toxer, lieutenant d’Attila : « dans mes rages ou mes rêves, je me sentais, me sens encore un peu Hun... » Du Hun génétique - le barbare - à tous les autres... le programme était largement ouvert aux métamorphoses et « textamorphoses » !

Pourtant Michel Butor fut un écrivain pudique qui, s’il se livrait quelque peu dans les entretiens, avait plutôt tendance à jouer de la métaphore ludique ou de la figuration symbolique pour livrer par l’humour des facettes de sa personnalité secrète. Facétieux, il se révélait à demi derrière les masques et les miroirs du moi : il était tour à tour le butor étoilé, le singe, l’escargot, le Minotaure, l’ours transformant l’énigme en miel de Géographie parallèle, l’huître dans Le rêve de l’huître ou encore le « masque en bourgeon » - le bébé du tableau L’entrée des Croisés dans Constantinople, dans Dialogue avec Delacroix -, etc. Michel Butor a multiplié les figures d’identification (ou de camouflage ?) Il s’est aussi parodié lui-même en pastichant des titres connus (parmi ses « captures littéraires »), par exemple, dans Portrait de l’artiste en jeune singe (Gallimard, 1967), il multipliait les références littéraires, alchimiques et mythologiques, en particulier à Thot, dieu égyptien de l’écriture... (divinité tutélaire de Thomas Mann dans le 1er chapitre du Jeune Joseph). Autre stratégie, le goût des références cachées ou à peine voilées : Travaux d’approche (Gallimard poésie, 1972) est par le titre un hommage transparent à Ralentir travaux (d’André Breton, René Char, Paul Eluard). Dans ce recueil, les images surréalistes, voire dadaïstes, abondent (On pense à L’homme approximatif de Tristan Tzara). Réputé pour sa rigueur intellectuelle, il pratiquait volontiers l’autodérision. En feu d’artifice, savourons cet autoportrait éclaté, disséminé dans Travaux d’approche, que je reconstitue librement en tranchant dans le cheminement et l’architecture du texte : « Qui es-tu Michel Butor ?- Je suis une maladie, - je suis un sommeil de plomb et une insomnie de rouille, - Je suis un aveuglement qui brûle et une surdité qui guette, - je suis un nomade à qui la vue d’une valise donne un malaise, - je suis un appétit insatiable et une digestion lente, - je suis un mineur et un démineur, - je suis une tête de boue avec une peau de couleuvre, - je suis un spermatozoïde dans tous ses états... D’où viens-tu Michel Butor ? – Je ne descends pas seulement du singe mais de l’escargot... »

De la poésie, il confiait à Roger Borderie : « Je fais ce qu’elle peut pour qu’elle me déborde... » Et à André Clavel, il avouait avec humour qu’il était « un écrivain peu lu mais beaucoup entretenu » ! De nombreuses confidences de Butor soulignent qu’il n’était pas dupe de cette immense popularité en trompe l’œil. Toutefois, il prédisait avec conviction que ses textes arborescents, nomades, en réseaux, en patchwork, trouveraient plus tard leurs lecteurs car son écriture s’inscrivait déjà dans la distribution propre aux grandes machineries informatiques et médiatiques modernes. Même la disparition du livre papier ne l’effrayait pas. Selon ses critères, seuls les livres d’artistes devaient être conçus sur des supports palpables, et pas uniquement de papier. Tel Rabelais, il s’attachait à concilier science et conscience, lucide quant aux dérives fatales...

J’ai rencontré Michel Butor pour la première fois, à Yvoire, lors du lancement spectaculaire d’un livre collectif dont j’avais assuré la direction : Léman, Ex- pressions sans rivages (éd. La Manu- facture, 1986), et pour lequel il m’avait confié un long texte, « Concernant Genève », faisant découvrir la ville au lecteur de station en station, sur tout le parcours de la ligne du tramway n° 12. Je n’avais alors lu de lui que La Modification et quelques textes épars. Je fus aussitôt conquis. Établis en Haute-Savoie, nous eûmes d’autres rencontres, des entretiens, quelques projets communs. Se rendant volontiers disponible, il me reçut notamment avec les participants des ateliers d’écriture que j’animais au Lycée Gabriel Fauré d’Annecy. Michel Butor se prêtait à ces rencontres, accueillant dans sa maison de « L’Écart » les groupes d’élèves auxquels il faisait découvrir ses trésors : prestigieux et insolites livres d’artiste, de tous formats et sur tous supports... Il nous proposa aussi une inoubliable visite de Genève guidée par lui-même, dont garde trace un des livres de ces ateliers d’écriture : La ville entre les lignes (éd. Comp’Act, 1999). Populaire, au bon sens du terme, il l’était aussitôt devenu auprès de ces jeunes gens, comme moi, immédiatement conquis...

On peut dire sans trahir la mémoire de Michel Butor qu’il s’inscrivait totalement avec son souci constant de la transmission dans la démarche d’un Antoine Vitez qui voulait que son théâtre fût sans concession à la démagogie. Michel Butor, profond et novateur ne s’adressait pas à des « consommateurs » mais à un public de lecteurs exigeants et d’interlocuteurs curieux. Il excellait dans l’improvisation comme dans l’écriture et se voulait, tel Vitez, sans ostentation, « élitaire pour tous ». 

* M. B. à Mons-en-Barœul, en mars 2011, a été fêté avec de surprenantes marques d’admiration et d’affection. Des artistes, chanteurs, musiciens, peintres, etc., de sa ville natale, ont tour à tour présenté leurs cadeaux, créations personnalisées pour M B. C’était très émouvant et très joyeux. L’ « enfant-grand-père » prodigue se prêtait avec bonhomie et reconnaissance à tous les échanges... N’est-ce pas là un témoignage évident de popularité de l’homme, sinon de l’œuvre ? sourit).

Poète, écrivain, chroniqueur pour des revues, comme les Lettres françaises, Nu(e) ou Europe, Michel Ménaché est l’auteur de nombreux ouvrages. Dans le dernier, Couleur de larmes, publié en 2017 chez Bruno Doucey et accompagné de peintures de Mylène Besson, ses textes croisent des poèmes de Michel Butor dont il suit et fait connaître l’œuvre depuis longtemps.
Ses livres destinés aux enfants sont publiés chez Hachette, dans la collection Fleurs d’encre.