Michel Butor, l’homme à l’encre indélébile
La chronique de Gilles Heuré, paru dans Télérama le 30 août
2016.
Poète, enseignant, essayiste… L'auteur de “La Modification”,
mort le 24 août 2016, ne peut être cantonné à la famille du Nouveau roman tant
son œuvre est impressionnante.
Né en 1926, décédé le 24 août 2016, Michel Butor est encore
une de ces grandes figures de la littérature qui s’effacent sans bruit. Il
laisse derrière lui non seulement une œuvre impressionnante, mais aussi une
admiration de nombre de ses pairs et, moins quantifiable et tout aussi
légitime, de ses lecteurs, y compris ceux à venir. Avec ses romans, Passage de
Milan (éd. de Minuit, 1954), L’Emploi du temps (éd. Minuit, 1956), La
Modification (éd. de Minuit, 1957, prix Renaudot), on associe Michel Butor à
Claude Simon ou Nathalie Sarraute, à une famille littéraire « Nouveau roman ».
Mais lui est aussi poète. Universitaire, enseignant à Nice puis à Genève, grand
lecteur d’œuvres classiques — voir son étude monumentale Improvisations sur
Balzac (1999) — son époque et le contexte littéraire qui furent ceux de ses
premiers écrits le conduisirent sans doute à s’interroger sur la fonction et le
statut d’auteur, question qu’il résolut probablement en s’instituant avant tout
comme un homme qui regarde autant qu’il écrit, qualité somme toute appréciable
à un écrivain, du moins comme il l’entendait.
Entretien
Michel Butor : “ On dit souvent de moi que je suis un
inconnu célèbre ”
Les structures du roman pouvaient bien obéir à la multiplicité
des regards qu’il portait sur tout et tous : la peintre portugaise Vieira da
Silva, Alechinsky, Giacometti, Miquel Barcelo, la photographie, tout ce qui est
signes, peintures, messages esthétiques, graphiques ou sonores. Grand voyageur,
il fut ainsi grand producteur de textes. Les éditions La Différence continuent
d’ailleurs à publier son œuvre qui compte déjà plus d’une dizaine de volumes.
On peut s’égarer dans ses livres, comme on peut le faire en regardant un
tableau de Mondrian sur lequel il écrivit des Notes en 1976 ; on peut tenter de
deviner ce qu’il appelait « l’architecture cachée » d’un roman ou d’un tableau
tout en sachant que lui-même l’avait soigneusement conçue. « Il y a la
composition de l’œuvre et la forme de chaque phrase : le choix de chaque mot
doit en être une conséquence » (Réponses à Tel quel).
Dans La Modification, son
livre le plus connu, il y a le projet d’un homme, celui de retrouver une femme
à Rome et, lors de son voyage en train, le projet se modifie, chaque petit
incident — des gestes de voyageurs, des gares qu’il traverse, des souvenirs
oubliés — se répercutant sur d’autres aboutit finalement à la modification du
projet initial. Une mosaïque de situations et de réflexions dont chaque lecteur
de Butor peut s’emparer à son tour puisqu’un écrivain ne disparaît jamais tout
à fait.