Un enchantement !
La Grande Armoire
Michel Butor et Olivier Delhoume (photographies)
Extirpés du fouillis de l'armoire familiale, quelques
objets, souvenirs anciens, héritages ou cadeaux des quatre coins du monde, nous
sont présentés avec tendresse, érudition et malice par l'ami Butor. Collection
hétéroclite et improbable, cabinet de curiosités, l'armoire de Butor a des airs
de hotte du Père Noël...!
Quelle merveille !
Quel cadeau !
Quel régal !
La parution de ce livre était initialement prévue le 14
septembre 2016 à l'occasion du 90e anniversaire de Michel Butor qui nous a
quittés le 24 août 2016. Ce volume retrace sa vie à travers des objets qu'il
avait minutieusement choisis et pour lesquels il avait rédigé les notices.
Depuis plus d'un an, les séances de prises de vues et de composition de
l'ouvrage avaient été pour Michel Butor l'occasion de transmettre à Olivier
Delhoume l'histoire de ses objets familiaux anciens et celle de ses souvenirs rapportés
ou reçus des cinq continents. Après en avoir validé la mise en page, Michel se
réjouissait de cette publication qu'il voyait comme un héritage à partager.
Elle existe bel et bien, et elle est très grande
effectivement, cette armoire que Michel Butor a héritée de sa famille et qui
l’a accompagné toute sa vie. Elle contient, accumulés en vrac depuis plusieurs
générations, des objets de toute nature se rapportant à des époques, des
personnes, des événements et des lieux qui ensemble constituent un trésor de
mémoire.
Avec ce livre, qui présente une photographie et un
commentaire pour chaque objet répertorié, Butor s’est livré; il a ouvert les
portes et les tiroirs de cette armoire intime et exposé aux yeux du lecteur ce
qui l’a relié au monde par son histoire familiale, par ses rencontres avec des
amis, des artistes, des étudiants, par ses voyages, ses lectures, par ses
propres écrits, etc. Il a effectué ainsi un retour sur lui-même dans lequel sa
personne s’est confondue amoureusement avec les souvenirs évoqués par la magie
des objets décrits au fil des pages.
C’est donc en poète que Michel Butor a effectué pour nous
cette merveilleuse visite guidée de sa Grande Armoire. Mais c’est aussi le
professeur bienveillant qui nous a adressé subtilement une ultime leçon :
chacun d’entre nous n’a-t-il pas quelque part, ne serait-ce que dans son cœur
ou dans son imaginaire, une armoire à explorer et à faire découvrir ?
Relié, couverture cartonnée
Edition Notari | 22 x 22 cm | 200 pages | € 34
EAN 978-2970106869 | ISBN 2970106868
Paru le 18 octobre 2016
Il conservait de vieux arcanes dans une armoire. Michel
Butor voulait guider ses lecteurs dans un cabinet de curiosités intimiste.
Deux mois après sa mort à l’âge de 89 ans, Michel Butor
resurgit via un livre illustré, coloré d’anciennes fragrances. Une découverte
comme dans beaux vers de Rimbaud :
« C’est un large buffet sculpté ; le chêne sombre,
Très vieux, a pris cet air si bon des vieilles gens ;
Le buffet est ouvert, et verse dans son ombre
Comme un flot de vin vieux, des parfums engageants. »
Dans sa maison de Contamine-sur-Arve, en Haute-Savoie,
s’érige un meuble plus imposant qu’un bahut. Une armoire normande
compartimentée qu’il avait garnie d’objets hérités d’aïeules. Des médaillons
daguerréotypés, des draperies pliées : une patine « vieille France » dont
l’auteur de La modification ne voulait pas se dépoussiérer, alors qu’il voua
ses écritures polymorphes aux miracles de la modernité. Il fut un des auteurs
français le plus réceptif à d’autres cultures : son armoire conserve aussi une
vertèbre de baleine inuit sculptée, un cageot de pommes « à chemise » trouvée à
Prague, un récipient en fils électriques du Zimbabwe…
La visite de ce placard enchanté, commentée par Butor
lui-même, devait paraître le 14 septembre 2016, mais il mourut peu avant. Or
dans l’album illustré et posthume, que son ami et dépositaire Olivier Delhoume
a parachevé tout seul, on respire un flot de vin vieux très rimbaldien.
Voyage dans la Grande Armoire
Souvent, dans les maisons de famille, règne une grande armoire. On la dit « normande » mais elle peut venir de bien des régions. Elle a voyagé de familles en villages et garde en mémoire bien des mystères. Sur ses étagères recouvertes d'un reste de coupon de toile de Jouy fanée : des objets, des linges au trait évaporé; des boîtes qui renferment leurs secrets et des fragments du monde.
Très haute, sombre et mystérieuse, on y cachait à l'arrière
de l'étagère supérieure les cadeaux de Noël arrivés trop tôt dans la maison.
Ces armoires ne sont pas des coffres forts, bien qu'elle conservent encore les
restes d'un trousseau de grande valeur. Elles restent ouverte à ceux qui souhaitent contrôler l'alignement des piles de draps et
de linge, humer l'odeur de lavande de l'année dernière, se rappeler des
souvenirs et, parfois, aux enfants qui s'y cachent à l'heure du dîner quand
tout le monde les cherche.
Certaines de ces armoires accueillirent bien des fantômes,
au dire d'enfants qui n'arrivaient pas à s'endormir, dans l'humidité des
chambres à l'entre-solive défraîchi,. Le regard se promenait alors de poutre en
poutre pour découvrir les motifs de la peinture écaillée sur le rouge des bardeaux.
La Grande Armoire recueille tout autant de souvenirs que
ceux que nous nous sommes tissés et parfois inventés. Mais ces souvenirs pliés
dans du papier de journal ou emballés dans la soie révèlent la vie d’un homme :
écrivain-poète, artiste, professeur et ami. Ces objets hérités des anciens ou
reçus par lui et son épouse Marie-Jo constituent un patrimoine rapporté des
cinq continents. Faire sien ce long voyage et rêver d’escales improbables que
nous n’aurions su aborder seul.
La Grande Armoire nous est offerte comme les clés
nécessaires pour nous ouvrir à d’autres mondes. Ouvrons-la avec la fraîcheur du
regard et l’impatience d’un enfant qui découvre ses cadeaux avant l’heure !
Olivier Delhoume, avril 2015
La Grande Armoire
pour Olivier Delhoume
J'ai l'impression de l'avoir toujours connue. Sans autre ornement que ses moulures, on l'appelait l'armoire normande. Elle est trop haute même si on démonte sa corniche, pour tenir dans un appartement habituel d'aujourd'hui. Quand ma famille s'est installée, en 1936, au 107 de la rue de Sèvres, en face de la rue Vaneau, à quelque distance de la fontaine du Fellah, au troisième étage - j'avais alors neuf ou dix ans - elle fut mise dans la chambre où les trois garçons couchaient ensemble. Il y en avait une autre pour les quatre filles. Elle contenait tout notre linge, tous nos habits, et je pense aussi tous les draps, les nappes et les serviettes de la maison.
Lorsque ma mère est morte en 1972, et qu'il a fallu vendre cet appartement, tous les objets à l'intérieur furent répartis entre nous sept. J'étais alors à Nice, nous venions de nous installer impasse de Terra Amata. La grande armoire me fut attribuée, sans doute parce que j'étais le seul à pouvoir l'accueillir. Heureusement elle se démonte.
C'est alors qu'elle est devenue le réceptacle des objets dont on ne savait que faire, mais que l'on désirait absolument garder, hérités de la famille, recueillis au cours de voyages ou offerts par des amis. Il y en a à peu près 500. On en a retenu 80. Beaucoup auraient fait double emploi, mais surtout nous avons retenu ceux sur lesquels je voyais immédiatement quelque chose à raconter. Elle est pleine à craquer. Tout est encastré l'un dans l'autre, et j'ai hésité à ressortir tel ou tel pour rédiger mes notices, tellement c'était redevenu difficile. Il y a cinq rayons et deux grands tiroirs sous le troisième.
Il ne s'agit donc nullement d'une collection, mais d'une accumulation, d'un humus, d'une fouille archéologique en désordre. C'est une sédimentation, mais les couches y ont été perpétuellement remuées par une sorte de tremblement de terre provoqué par les recherches successives dans le dessein de montrer tel ou tel objet. J'y ai pris quelques échantillons significatifs dans lesquels je me suis efforcé d'y mettre quelque classement. J'aurais pu en choisir d'autres qui m'auraient sans doute fait ressouvenir d'autres épisodes. Sans compter tout ce qu'il y a dans ma maison en dehors de cette grande armoire.
Après ma mort mes enfants et petits-enfants se répartiront à leur guise ces objets qui continueront leur voyage temporel, un peu éclairés, grâce à ces textes lors de leur escale dans la grande armoire.