Article paru dans La Voix du Nord du 20 novembre 2012
Il y a deux ans, il a redécouvert sa maison natale de la rue du Général de Gaulle. À l'occasion de Cité Philo, qui se déroule tout ce mois de novembre et dont il est l'invité d'honneur, le voici de retour dans la métropole lilloise pour la troisième fois en très peu de temps.

La première de ses trois conférences était centrée sur un petit livre imaginé avec Carlo Ossola, Conversation sur le temps (Éditions de la Différence). Animée par Mireille Calle-Gruber, écrivain, professeur à la Sorbonne et éditrice des œuvres complètes de Michel Butor, la séance était l'occasion idéale pour que le philosophe puisse revenir sur quelques-uns de ses repères dont l'un, très personnel.

La première de ses trois conférences était centrée sur un petit livre imaginé avec Carlo Ossola, Conversation sur le temps (Éditions de la Différence). Animée par Mireille Calle-Gruber, écrivain, professeur à la Sorbonne et éditrice des œuvres complètes de Michel Butor, la séance était l'occasion idéale pour que le philosophe puisse revenir sur quelques-uns de ses repères dont l'un, très personnel.
En ce mois de novembre, lié au souvenir, il a évoqué les monuments : « Le monument c'est quelque chose que l'on construit pour que l'on n'oublie pas...
D'une certaine manière, pour arrêter le temps. Cela joue sur la conscience que les gens ont d'eux-mêmes. Ce qui est frappant, ce sont tous ces monuments que l'on a construits après la guerre de 14-18. Il en existe un dans chaque ville et même dans chaque village. Ils marquent leur empreinte sur le temps et sur la conscience collective. Pendant la guerre de 1870, il y a eu beaucoup de morts mais aucun monument. Après celle de 1940-45, on s'est contenté de rajouter les noms des soldats morts sous ceux de la guerre précédente. L'effet n'est pas du tout le même en raison de l'existence même de ces monuments. C'est surtout de la Première Guerre mondiale qu'on se souvient. »
Répondant à une question de la salle il a appliqué cette problématique du temps (qui passe) à sa maison natale : « Je n'ai pratiquement pas de souvenirs de mon enfance dans le Nord. J'ai quitté cette maison lorsque j'avais trois ans. Mons-en-Barœul, c'est une enfance oubliée sauf pour la lumière. Pour moi, toutes les autres lumières, même celle de Paris où j'ai vécu très longtemps, sont exotiques. Cette maison était quelque chose de très vague. Je savais que c'était une maison du Nord, c'est-à-dire, avec son plan (salon, salle à manger, véranda). J'ai été frappé, quand j'y suis revenu, de constater quelle était plus grande dans la réalité que celle que je m'imaginais. Je savais qu'il y avait un carrelage mais il n'était pas du tout comme je l'avais reconstruit dans ma tête. On ne peut pas dire que de vrais souvenirs me soient revenus à cette occasion. Malgré tout, j'ai pu réintégrer cette maison à mon parcours. Il y a quelque chose de changé dans mon curriculum vitae. Cette maison de Mons-en-Barœul a pris une place différente dans mon histoire. »
En guise de conclusion, l'écrivain a lu un long poème, Vieillir. Il avait été composé la veille, « spécialement pour la circonstance ». À la fin, il a été chaleureusement applaudi. Même s'il prenait le plus grand soin à le cacher, on voyait bien qu'il était ému. Il n'était pas le seul. • A. C. (CLP)
Vieillir
D'une certaine manière, pour arrêter le temps. Cela joue sur la conscience que les gens ont d'eux-mêmes. Ce qui est frappant, ce sont tous ces monuments que l'on a construits après la guerre de 14-18. Il en existe un dans chaque ville et même dans chaque village. Ils marquent leur empreinte sur le temps et sur la conscience collective. Pendant la guerre de 1870, il y a eu beaucoup de morts mais aucun monument. Après celle de 1940-45, on s'est contenté de rajouter les noms des soldats morts sous ceux de la guerre précédente. L'effet n'est pas du tout le même en raison de l'existence même de ces monuments. C'est surtout de la Première Guerre mondiale qu'on se souvient. »
Répondant à une question de la salle il a appliqué cette problématique du temps (qui passe) à sa maison natale : « Je n'ai pratiquement pas de souvenirs de mon enfance dans le Nord. J'ai quitté cette maison lorsque j'avais trois ans. Mons-en-Barœul, c'est une enfance oubliée sauf pour la lumière. Pour moi, toutes les autres lumières, même celle de Paris où j'ai vécu très longtemps, sont exotiques. Cette maison était quelque chose de très vague. Je savais que c'était une maison du Nord, c'est-à-dire, avec son plan (salon, salle à manger, véranda). J'ai été frappé, quand j'y suis revenu, de constater quelle était plus grande dans la réalité que celle que je m'imaginais. Je savais qu'il y avait un carrelage mais il n'était pas du tout comme je l'avais reconstruit dans ma tête. On ne peut pas dire que de vrais souvenirs me soient revenus à cette occasion. Malgré tout, j'ai pu réintégrer cette maison à mon parcours. Il y a quelque chose de changé dans mon curriculum vitae. Cette maison de Mons-en-Barœul a pris une place différente dans mon histoire. »
En guise de conclusion, l'écrivain a lu un long poème, Vieillir. Il avait été composé la veille, « spécialement pour la circonstance ». À la fin, il a été chaleureusement applaudi. Même s'il prenait le plus grand soin à le cacher, on voyait bien qu'il était ému. Il n'était pas le seul. • A. C. (CLP)
Vieillir
Autrefois
j’avais des idées
je savais
quantité de choses
aujourd’hui
cela se recouvre
par
l’inondation de l’oubli
un épais
brouillard tourmenté
d’où
émergent quelques îlots
qui me
font ressentir combien
les
années se sont éloignées
Autrefois
j’avais l’avenir
cela
viendra ça va venir
il ne
faut pas aller trop vite
tout
vient à point à qui sait attendre
tu n’es
encore qu’au début
et tes
enfants profiteront
de ces
merveilleux lendemains
qui n’ont
pas encore chanté
Autrefois
j’avais le progrès
les miracles
économiques
se
succédaient après la guerre
que
d’avancées dans la technique
même ce
dont je me souviens
est
souvent devenu caduc
le défilé
des théories
passe
comme ceux de la mode
Autrefois
j’avais la jeunesse
mais je
ne m’en rendais pas compte
grandir
grandir trouver sa voie
dans le
labyrinthe social
essais et
erreurs que de bleus
sur le
corps et l’âme le temps
s’ouvrait
comme une fleur sauvage
avec un
parfum d’églantier
Autrefois
j’avais la santé
pourtant
je n’ai jamais connu
ce que
l’on appelle la forme
malingre
et un peu souffreteux
toujours
fatigué jusqu’aux os
je vois
moins bien j’entends moins bien
mais le
cœur fonctionne toujours
comme
lorsque j’avais vingt ans
Autrefois
j’avais la prestance
me dit-on
je me trouvais maigre
un peu
rachitique toujours
mal
fringué comme un as de pique
mais
aujourd’hui l’obésité
et il
faut faire attention
pour
pouvoir continuer à mettre
mes
salopettes de soirée
Autrefois
j’avais l’énergie
du moins
je suis bien obligé
d’admettre
ce que l’on m’en dit
je me demande
bien comment
j’ai pu
noircir toutes ces pages
car je
n’ai connu que l’effort
l’obstination
l’épuisement
la tête
tournant à l’envers
Et quant
à la postérité
quand je
serai réduit en cendres
même si
dans quelques années
on se
souvenait de mon nom
il viendra
la mort de la Terre
c’est
maintenant dans l’espérance
de
quelques vies améliorées
que je
ressens l’éternité