En cliquant sur les onglets ci-dessus, vous pourrez retrouver les souvenirs de la venue de Michel Butor à Mons-en-Barœul le samedi 5 mars 2011 (Le retour dans sa maison natale, l'hommage à la Maison Folie du Fort de Mons et des moments émouvants avec notamment un vivat flamand et la découverte de l'iPad lors d'un repas à l'Hamadryade de Villeneuve d'Ascq). Le samedi 5 mars après midi Michel Butor a inauguré au musée Sandelin à St Omer une exposition qui lui était consacré (onglet St Omer). Nous avons ajouté les émotions du 18 mai 2012 à Mons (restaurant du Fort, découverte de la bibliothèque et vernissage dans la salle d'exposition du fort) et le lendemain lors d'une visite privée au musée de la piscine de Roubaix et son intervention à la médiathèque l'Odyssée à Lomme. Merci au groupe des amis de Michel Butor qui a permis à Michel Butor de retrouver sa ville natale.

Michel Butor revient à Mons-en-Barœul avec ses souvenirs d'enfance


Article paru dans La Voix du Nord du 20 novembre 2012

Il y a deux ans, il a redécouvert sa maison natale de la rue du Général de Gaulle. À l'occasion de Cité Philo, qui se déroule tout ce mois de novembre et dont il est l'invité d'honneur, le voici de retour dans la métropole lilloise pour la troisième fois en très peu de temps. 


La première de ses trois conférences était centrée sur un petit livre imaginé avec Carlo Ossola, Conversation sur le temps (Éditions de la Différence). Animée par Mireille Calle-Gruber, écrivain, professeur à la Sorbonne et éditrice des œuvres complètes de Michel Butor, la séance était l'occasion idéale pour que le philosophe puisse revenir sur quelques-uns de ses repères dont l'un, très personnel.
En ce mois de novembre, lié au souvenir, il a évoqué les monuments : « Le monument c'est quelque chose que l'on construit pour que l'on n'oublie pas... 

D'une certaine manière, pour arrêter le temps. Cela joue sur la conscience que les gens ont d'eux-mêmes. Ce qui est frappant, ce sont tous ces monuments que l'on a construits après la guerre de 14-18. Il en existe un dans chaque ville et même dans chaque village. Ils marquent leur empreinte sur le temps et sur la conscience collective. Pendant la guerre de 1870, il y a eu beaucoup de morts mais aucun monument. Après celle de 1940-45, on s'est contenté de rajouter les noms des soldats morts sous ceux de la guerre précédente. L'effet n'est pas du tout le même en raison de l'existence même de ces monuments. C'est surtout de la Première Guerre mondiale qu'on se souvient. » 

Répondant à une question de la salle il a appliqué cette problématique du temps (qui passe) à sa maison natale : « Je n'ai pratiquement pas de souvenirs de mon enfance dans le Nord. J'ai quitté cette maison lorsque j'avais trois ans. Mons-en-Barœul, c'est une enfance oubliée sauf pour la lumière. Pour moi, toutes les autres lumières, même celle de Paris où j'ai vécu très longtemps, sont exotiques. Cette maison était quelque chose de très vague. Je savais que c'était une maison du Nord, c'est-à-dire, avec son plan (salon, salle à manger, véranda). J'ai été frappé, quand j'y suis revenu, de constater quelle était plus grande dans la réalité que celle que je m'imaginais. Je savais qu'il y avait un carrelage mais il n'était pas du tout comme je l'avais reconstruit dans ma tête. On ne peut pas dire que de vrais souvenirs me soient revenus à cette occasion. Malgré tout, j'ai pu réintégrer cette maison à mon parcours. Il y a quelque chose de changé dans mon curriculum vitae. Cette maison de Mons-en-Barœul a pris une place différente dans mon histoire. » 

En guise de conclusion, l'écrivain a lu un long poème, Vieillir. Il avait été composé la veille, « spécialement pour la circonstance ». À la fin, il a été chaleureusement applaudi. Même s'il prenait le plus grand soin à le cacher, on voyait bien qu'il était ému. Il n'était pas le seul. • A. C. (CLP)

Vieillir


Autrefois j’avais des idées
je savais quantité de choses
aujourd’hui cela se recouvre
par l’inondation de l’oubli
un épais brouillard tourmenté
d’où émergent quelques îlots
qui me font ressentir combien
les années se sont éloignées

Autrefois j’avais l’avenir
cela viendra ça va venir
il ne faut pas aller trop vite
tout vient à point à qui sait attendre
tu n’es encore qu’au début
et tes enfants profiteront
de ces merveilleux lendemains
qui n’ont pas encore chanté

Autrefois j’avais le progrès
les miracles économiques
se succédaient après la guerre
que d’avancées dans la technique
même ce dont je me souviens
est souvent devenu caduc
le défilé des théories
passe comme ceux de la mode

Autrefois j’avais la jeunesse
mais je ne m’en rendais pas compte
grandir grandir trouver sa voie
dans le labyrinthe social
essais et erreurs que de bleus
sur le corps et l’âme le temps
s’ouvrait comme une fleur sauvage
avec un parfum d’églantier

Autrefois j’avais la santé
pourtant je n’ai jamais connu
ce que l’on appelle la forme
malingre et un peu souffreteux
toujours fatigué jusqu’aux os
je vois moins bien j’entends moins bien
mais le cœur fonctionne toujours
comme lorsque j’avais vingt ans

Autrefois j’avais la prestance
me dit-on je me trouvais maigre
un peu rachitique toujours
mal fringué comme un as de pique
mais aujourd’hui l’obésité
et il faut faire attention
pour pouvoir continuer à mettre
mes salopettes de soirée

Autrefois j’avais l’énergie
du moins je suis bien obligé
d’admettre ce que l’on m’en dit
je me demande bien comment
j’ai pu noircir toutes ces pages
car je n’ai connu que l’effort
l’obstination l’épuisement
la tête tournant à l’envers

Et quant à la postérité
quand je serai réduit en cendres
même si dans quelques années
on se souvenait de mon nom
il viendra la mort de la Terre
c’est maintenant dans l’espérance
de quelques vies améliorées
que je ressens l’éternité